Daftar دفتر
En 2017, je me rends pour la première fois en Iran. C’est lors de mon vol Vienne/Téhéran que je rencontre Yoones dans l’avion. Sa personnalité authentique, extravagante et bienveillante a subitement séduit mon coeur d’exploratrice et très vite une amitié singulière est née. Yoones habite et travaille à Bologne en Italie. Il voyage tous les mois dans le nord de l’Iran, à Gorgan pour rendre visite à sa famille. Notre amitié a duré via whatsapp pendant deux années au cours desquelles il m’envoyait très régulièrement des photos de sa famille, des moments de sa vie que je trouvais si uniques, touchants et résilients. Je lui propose donc en 2019 de me rendre en Iran pour rencontrer sa famille. Si celle-ci me touche, c’est parce que nous avons, lui et moi, un point commun qui nous est cher : nos frères. Ils sont tous deux atteints de trisomie 21. Son frère, Yekta est âgé de 56 ans. Puis, il y a aussi nos mères. Sa mère, Taj, âgée de 94 ans, souffre de la maladie d’Alzheimer. Ma maman, décédée en avril 2019, souffrait de pré-démence sénile.
Le dévouement de Yoones envers son frère et sa mère est sans bornes. Il leur consacre tout son temps libre et toutes ses vacances. Quand Yoones revient en Iran, c’est la fête et on fait ça en grand! On sort les voitures de collection. Ce sont des balades dans la Cadillac vintage de famille. C’est la musique iranienne à plein volume dans les rues de Gorgan pour se rendre au déjeuner dans les restaurants de la ville. Taj a même le droit à sa cigarette russe le soir au dîner! Quand Yoones repart en Italie, c’est Reza, son ami de longue date qui prend soin de Yekta et de sa mère, qui les emmène déjeuner en ville. Yoones tient à ce que, durant son absence, sa maman soit stimulée par la musique. Chez eux, il n’y a pas de télévision. Juste l’énorme garde-robe de Taj et un canari qui chante toute la journée, accompagné des sifflements de cette dame élégante. Elle danse assise ou à son rythme près d’une chaise ou d’une table et chante avec son fils Yekta jusqu’à l’heure de la sieste. Quant à son fils, il est fasciné de “daftar” à paillettes qui veut dire en farsi “cahier”, il les collectionne par dizaines. Voilà comment se déroulent les heures et les journées au sein de ce petit foyer de Gorgan.
“Daftar” est un parti pris. Celui de l’optimisme face aux défis que posent l’absence, la maladie et la sénilité au sein d’une même famille. Le décès du papa de Yoones, la maladie d’Alzheimer ont provoqué des changements et sûrement fragilisé les repères au sein de la famille. Yoones a réussi à créer un univers rassurant pour ses proches. Grâce aux aidants, Yekta et Taj ont encore des semblants d’indépendance et de liberté. Yoones travaille dur pour pouvoir subvenir aux besoins de sa famille. Il souhaite que son frère et sa mère ne manquent de rien. “Qu’en sera-t-il du semblant d’indépendance et de leur dignité le jour où Yoones partira?” Trop de familles dans des situations similaires, sont malheureusement démunies d’un tel don de soi. Mes interrogations persistent : “Qu’advient-il de ces enfants handicapés devenus adultes lorsque leurs parents ne sont plus là ou deviennent eux-même dépendants? Enfin, “l’Etat seul peut-il garantir un avenir digne et rassurant pour ces vies?”
J’ose croire que le monde est plein de Yoones et de Reza.
English
In 2017, I traveled to Iran for the first time. It was during my Vienna / Tehran flight that I met Yoones on the plane. I was instantaneously seduced by his human, authentic, and extravagant behaviour and really quickly a friendship was born. Yoones lives and works in Bologna, Italy. He travels every month to Gorgan, in northern Iran to visit his family. Our friendship continued via whatsapp for two years in which he regularly sent me photos of his family, moments of his life that were so unique, touching and resilient to me. In 2019, I traveled back to Iran to meet his family. The reason why I am so sensititve to his personal life is because we both have a brother with Down’s syndrome. His brother, Yekta, is 56 years old. As for his mother, Taj, 95, she suffers from Alzheimer’s disease. My mom, who died in April 2019, suffered from pre-senile dementia.
Yoones’ dedication to his brother and mother is boundless. He concentrates all of his free time and holidays to them. When Yoones is back in Iran from Italy, it’s party time for the family and Yoones sees it big! The Family’s vintage cars are taken out. They take a ride in the vintage family Cadillac, listening to loud Iranian music in the streets of Gorgan on their way to have lunch in the city. Taj is even allowed to smoke one of her Russian cigarettes in the evening after dinner time! When Yoones returns to Italy, it is Reza, his longtime friend, who takes care of Yekta and his mother. Reza is the one who takes them to lunch in town. During his absence, Yoones insists that his mother should be stimulated by music. Television has no room in their home. What we can’t miss is Taj’s huge wardrobe and a canary singing all day long, in the living room. Taj loves to whistle along with the canary. She dances whilst seated or at her own pace near a chair or a table and sings with her son Yekta until nap time.
“Daftar” which means “notebook” in Farsi, is a bias for optimism when absence, illness, and senility are challenges to be faced within the same family. The death of Yoones’ father and Alzheimer’s disease brought about changes and undoubtedly weakened the markers within the family. Yoones has managed to create a reassuring universe and atmosphere for his loved ones. Thanks to helpers like Reza, Yekta and Taj still have semblances of independence and freedom.